Au cas où vous n’y auriez pas prêté attention, nous sommes en pleine rentrée littéraire, alors ça m’a donné envie d’écrire aussi.
Les artistes ont bien sûr la couleur comme médium de prédilection, mais parfois ils ont envie d’emprunter les mots également. Alors aujourd’hui, voici une mise en mots toute personnelle de mon appréciation de la couleur.
Je suis friande de couleurs
Chose étrange, je m’étais toujours dit, dans ma jeunesse, qu’il y avait une chose dans la vie que je ne ferais jamais; être complètement accaparée par une et une seule passion à un point tel que cela devienne quasi obsessionnel.
La vie était bien trop riche pour n’en déguster qu’une petite partie me semblait-il avec la certitude et l’arrogance qui caractérisent l’âge où tout est possible. L’âge où la nécessité de se construire nous invite à picorer goulûment à l’extérieur de nous, tous azimuts.
Donc, ma vie m’avait conduite à m’abreuver d’un peu de tout mais en fait de rien. Ce foisonnement et cette foultitude de découvertes, de rencontres, d’expériences me comblèrent jusqu’à l’âge de trente ans.
Mais là, il était temps d’aviser. Jusque là, j’avais cherché mon chemin et je n’avais alors encore rien trouvé. Dans une vitale nécessité, je me mis à tout déballer sur la table et, dans ce fatras de faits et gestes, une seule chose demeura scintillante. Cette chose en fait, je l’avais côtoyée dès mon plus jeune âge, cette chose se manifestait à moi de façon très intermittente. Mais pourtant cette chose ne m’avait jamais quittée, même si moi je l’avais souvent lâchement abandonnée. Cette chose, c’était la couleur et l’art d’en jouer, donc de lui permettre de s’exprimer à travers moi.
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Cette voie fut immédiatement validée car il ne m’avait pas échappé qu’en m’aventurant sur ce chemin, la couleur m’avait déjà régulièrement sauvée de l’abattement, des petites déprimes et des grosses dépressions qui me gagnaient parfois.
Mes voyages extérieurs mutèrent brusquement en voyage intérieur et je me mis alors sérieusement à convoquer disons le « naturel » de l’existence en d’autres mots la Vie.
D’abord de façon très intime et surtout de façon profane, une fenêtre s’ouvrit très rapidement entre ma nature et la nature. Je sautai vivement dans le paysage. Sous peine de m’y perdre et, pour ne pas recommencer les erreurs déjà commises précédemment à savoir la dispersion et la superficialité, je basai toute description colorée sous le filtre de mon vécu.
Je compris qu’en ce qui concernait ma façon de fonctionner, pour bien créer avec les couleurs, il me fallait réellement vivre dans mes cellules ce que j’élaborais ! Je me mis à décomposer puis à recomposer ma perception du naturel.
Cette approche a priori analytique n’a pourtant rien d’intellectuelle. Je sais que je ne commettrai jamais la fatale erreur d’un art trop conceptuel qui consiste à vider tout l’émotionnel afin de maîtriser la représentation.
Lorsque je me mets à penser et à agir en couleurs, je me place toujours dans ce qui est, voire dans ce qui est en train d’advenir.
Créer revient à plonger dans ce grand bain et s’y ébrouer afin de m’en asperger.
Seulement voilà, cette vitale immersion intérieure devint fatale car, les années aidant, une attention accrue portée sur les mouvements de la vie en moi, me révélait ma condition d’humain. Plus spécifiquement, il m’apparut que ma condition de femme maintenant dénuée d’insouciance m’était politiquement et très concrètement dictée par l’époque à laquelle j’appartenais. S’éduquer, travailler, se divertir, se soigner, comment aimer, avoir des enfants, comment les élever et, même, quoi admirer et quoi abhorrer : une prise de conscience -quoique au début douloureuse- fut cruciale et salutaire.
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Voilà bien la raison pour laquelle, je n’ai jamais lâché l’affaire de mes voyages colorés. Depuis lors, les couleurs sont ma révolution et me rendent insoumise à toutes les violences ouvertes ou insidieuses dont nous faisons journellement les frais.
Une posologie appropriée de ce médicament m’empêche de sombrer. La volonté de tenter d’être libre, ne serait-ce qu’au niveau de ma pensée puisqu’il est à mon niveau prétentieux de l’être par mes actions, est prépondérante.
M’abandonner à des orgies de lumières et de couleurs, c’est ainsi que je gagne ma liberté.
Je deviens légère et volatile, comme un air pur, je navigue alors avec vélocité, j’échappe à tous mes poids et ainsi je recompose ma Terre.
Entrer en couleurs, c’est emplir mes poumons de pétillantes et vivifiantes bouffées colorées mais surtout colorantes. Je veux être une possible incarnation de la couleur, je veux comprendre leurs accords et leurs oppositions, je veux faire flamber leurs éclats à un haut point d’intensité, je veux être la fécondité de leurs joies, je veux qu’elles nous extraient de notre grisaille, je veux qu’elles projettent leurs faisceaux et rendent grimaçants et grotesques nos faux problèmes, je veux qu’elles titillent les assoupis, qu’elles réveillent les endormis, qu’elles bousculent les blasés.
Si elles agitent leurs atomes, elles houspillent les nôtres, c’est un fait certain.
Je les siphonne, j’invite leurs joyeux atterrissages d’abord dans mon espace intime, puis sur ma toile. Je les décroche de l’univers, je reconnais leur mécanique cosmique. Comme les sons, je présume qu’elles sont les premiers ébranlements de la création. Les rondeurs de notre Terre s’épanouissent par elles et par elles s’échappe sa clameur.
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Notons-le bien, ne l’oublions plus. Au milieu du glauque, elles sont des étincelles de vie. Il en subsiste toujours, il faut juste se mettre au diapason de leurs désirs, fébrilement. On peut juste les voir ou comme moi avoir une furieuse avidité de les pétrir, de les malaxer, de les étendre pour digérer leurs existences charnelles.
Dans mes compositions, leurs présences sont illuminées avec violence. Je sais qu’elles peuvent générer des coups de foudre. Ça m’est déjà arrivé et je sais aussi que bon nombre d’humains en ont été, également, les consentantes victimes. C’est le rôle de l’art : j’endosse cette mission et j’épands leurs vibrations chromatiques.
Souvent ma peinture peut être vue comme innocente, gentiment utopique, mais ces regardeurs s’arrêtent trop promptement aux apparences. Ils regardent sans voir, avec un esprit zappeur.
Quelle importance car moi je connais de plus en plus le secret des couleurs. Gorgées de forces vitales, elles finissent toujours par éclairer les fausses valeurs, alimenter le creux et vaincre la stupidité. Tout cela se fait en douceur mais de façon déterminée. Quoiqu’en dise l’art contemporain, une gracieuse esthétique ne nuit pas aux couleurs, bien au contraire, ainsi elle opère joliment masquée. Leur gaîté nous cligne de l’œil, leur joyeuse fantaisie nous détend et, pendant ce temps, leur grâce nous inonde. Divas de la Création, elles sont l’inexplicable qui arrive à s’exprimer. En elles, réside une semence seulement accessible par la contemplation, ici point de place pour les pressés, les superficiels. J’ai compris cette évidence et si je crée, depuis, inlassablement et obsessionnellement, c’est pour tirer par la manche ceux qui, comme moi, comprennent en cet instant qu’ils sont comme les couleurs elles-mêmes : des semences prêtes à colorier le monde.
veronique egloff
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Merci pour votre temps consacré
et à bientôt j’espère pour d’autres aventures colorées !
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