Depuis toujours les fables, contes et mythes en tout genre, décrivent la condition humaine. Depuis toujours aussi, les hommes les parcourent d’un œil amusé car ces œuvres orales ou écrites pensent-ils sont utopistes, loufoques et propres à divertir les enfants.
Et puis un jour, dans un vide-grenier, je suis tombée sur cet ouvrage « Fables d’Ésope », imprimé en CMXXXIV (1934) sur papyrus de Tsahet, exemplaire 267 sur 2500, s’il vous plait. Posé à même le sol, ce livre m’a cligné de l’œil et sans trop réfléchir je l’ai acheté 0,50€. Je ne savais pas ce que ce geste strictement intuitif allait générer, mais je savais déjà que la littérature peut activer de grande source de créativité pour mon art. De plus, cette façon imaginaire de relater la condition humaine a depuis mon enfance largement abreuvé ma compréhension du monde et de l’humanité. Dans toutes ces histoires, une œuvre m’a toujours beaucoup étonnée : celle d’Ésope. Cette création, je l’ai vue non comme le résultat d’un esprit moraliste -comme il est souvent compris- mais plutôt celui d’un esprit subversif.
Écrivain grec d’origine phrygienne, vivant dans l’Antiquité classique, Ésope véritable marginal culturel s’est vu attribuer la paternité de la fable. D’abord esclave puis affranchi vu ses finesses d’esprit, Ésope donnait corps à ses récits d’une façon orale plutôt qu’écrite. D’ailleurs ceux-ci sont rédigés en prose sans prétention littéraire et certains pensent même qu’Ésope est un personnage fictif dont le nom sert de titre à un recueil reproduisant d’anciens contes populaires Indo-Européens.
Peu importe, d’où vient cette œuvre, tout compte fait ce qui m’attire, c’est son contenu et son intemporalité. Ce qui me fait sourire, c’est sa façon de chahuter, malmener, ridiculiser avec un humour bien plus cinglant que celui de La Fontaine les autorités culturelles, politiques ou économiques de son époque. Pour ceux qui l’ignorent, ces fameuses fables furent une réinterprétation de celles d’Ésope.
Ésope peint par Vélasquez vers 1638, musée du Prado.
Tout le récit de la vie d’Ésope est parcouru par la thématique du rire, de la bonne blague au moyen de laquelle le faible, l’exploité, prend le dessus sur les maîtres, les puissants. En ce sens, Ésope est un précurseur de l’antihéros, laid, méprisé, sans pouvoir initial, mais qui parvient à se tirer d’affaire par son habileté à déchiffrer les énigmes. Karl Canvat, La Fable
Par un style familier et des métaphores animalières, végétales ou autres, la condition humaine défile sous nos yeux et ce d’une façon non poussiéreuse car parfaitement adaptée à une lecture actuelle. Ces histoires nous parlent bel et bien d’aujourd’hui, à tel point qu’en les peignant pour m’approprier leurs contenus, j’ai pu les rebaptiser par des faits bien connus de notre époque.
Ainsi, vous pourrez découvrir, des sujets tels que : la nécessité d’inventivité, la société du paraître, l’importance des lanceurs d’alerte…
De l’Hirondelle et des autres Oiseaux
ou de l’importance des Lanceurs d’Alerte
(Triptyque 38x55cm x3)
Lorsque la saison de semer le lin fut venue, l’Hirondelle voulut persuader aux autres Oiseaux de faire tous leurs efforts pour s’opposer à cette semaille, qui devait leur être si funeste. Les autres Oiseaux se moquèrent de ses conseils, lui disant qu’elle s’alarmait mal à propos. Quand le lin fut prêt à sortir de terre, elle leur conseilla de l’arracher ; ils n’en voulurent rien faire, et ne s’inquiétèrent nullement de ses avis. Lorsque l’Hirondelle vit que le lin commençait à mûrir, elle les exhorta à piller les blés ; mais ils ne s’en mirent pas en peine. L’Hirondelle voyant que ses remontrances étaient inutiles, se sépara des autres Oiseaux, et rechercha le commerce des hommes avec qui elle fit amitié.
Des Grenouilles et de leur Roi
ou d’Hypnose et d’Élections
(Diptyque 27x46cm x2)
Du Chien envieux et du Bœuf
ou d’une juste Répartition des Richesses
(Diptyque 46x65cm x2)
Du Paon et de la Grue
ou de la Société du Paraître
(Diptyque 65x54cm x2)
Un jour le paon traita la grue avec profusion. Comme la bonne chère commençait à l’échauffer, il se mit à discourir de se qui le distinguait des autres oiseaux. Ensuite pour montrer à son ami quels avantages il avait sur elle, il étala sa queue, et lui en fit remarquer toute sa bigarrure. « Voisin, dit la grue piquée de vanité de son hôte, je conviens avec vous que mon plumage est en beauté fort au-dessous du votre ; mais quand je fais réflexion que, tandis que vous ne volez qu’avec peine sur le toit d’une maison, je m’élève, moi, au-dessus des nues, je m’en console, je vous jure aisément. »
La corneille pressée de la soif
ou de la Nécessité d’Inventivité
(Diptyque 38x46cm x2)
Du Lion et de la Mouche
ou des Pouvoirs Chahutés
(Triptyque 46x55cm x2)
Une Mouche défia un Lion au combat, et le vainquit : elle le piqua à l’échine, puis aux flancs, puis en cent endroits ; entra dans ses oreilles, ensuite au fond de ses naseaux ; en un mot, le harcela tant, que de rage de ne pouvoir se mettre à couvert des insultes d’un insecte, il se déchira lui-même. Voilà donc la Mouche qui triomphe, bourdonne, et s’élève en l’air. Mais comme elle vole de côté et d’autre pour annoncer sa victoire, l’étourdie va se jeter dans une toile d’Araignée et y reste.
Hélas ! disait-elle, en voyant accourir son ennemie, faut-il que je périsse sous les pattes d’une Araignée, moi qui viens de me tirer des griffes d’un Lion ?
Du Crocodile et du Renard
ou de la Remise en Cause des Statuts
(Triptyque 38x46cm x3)
Le Crocodile méprisait le Renard, et ne lui parlait que de sa noble extraction. » Faquin, lui disait-il d’un ton arrogant, je te trouve bien hardi d’oser te faufiler avec moi. Sais-tu bien qui je suis ? sais-tu que ma noblesse est presque aussi ancienne que le monde ?
-Et comment pourrez-vous me prouver cela ? répliqua l’autre fort surpris.
-Très aisément, reprit le Crocodile. Apprends que dans la guerre des géants, quelques-uns d’entre les dieux prirent la fuite, et vinrent, transformés en Crocodiles, se cacher au fond du Nil. C’est de ceux-là dont je descends en droite ligne. Mais toi, misérable, d’où viens-tu ?
-En vérité, repartit le Renard, c’est ce que je ne sais point, et ce que je n’ai jamais su. Croyez, Seigneur Crocodile, que je suis beaucoup plus en peine de savoir où je vais, que d’apprendre d’où je viens. »
Art et condition humaine sont chez lui indissociables.
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